En apesanteur: Leopold Plotek et l’imagerie de la hauteur
« À supposer qu’un homme ait souvent volé en rêve, et qu’il finisse, sitôt qu’il dort, par avoir conscience et d’un pouvoir et d’un art de voler comme de son privilège ainsi que d’un bonheur enviable qui n’appartient qu’à lui : un tel homme, qui croira pouvoir effectuer, à partir de la plus légère impulsion, tout genre de courbe et d’angle, qui connaîtra le sentiment d’une certaine frivolité divine, un « vers le haut » sans tension ni contrainte, un « vers le bas » sans condescendance ni avilissement — sans pesanteur!
· Friedrich Nietzsche[1]
Chaque nouveau « regard en passant » est déterminé par tant d’autres qui l’ont précédé.
C’est cette vision fugitive qui inspire, comme un événement. Et je remarque que c’est toujours à ces moments-là que j’ai une idée, que je pourrais commencer un tableau… Le monde réel, ce soi-disant monde réel, est seulement quelque chose que l’on tolère, à l’instar du reste de l’humanité.
Je suis dans mon élément lorsque je me situe un peu hors de ce monde : je me trouve alors dans le monde réel – je suis sur la bonne voie. Parce que, quand je tombe, je me sens bien; quand je glisse, je me dis : « là, ça, c’est intéressant! »
Cela me dérange de me tenir droit debout :
Je me sens mal à l’aise : je suis roide. En fait, la plupart du temps, je glisse vraiment, vers cette vision éphémère. Je suis une sorte de « slipping glimpser », un observateur furtif qui glisse.
· Willem de Kooning[2]
Ce qui me fascine le plus dans l’existence, c’est cette étrange nécessité d’imaginer, ce qui, dans les faits, est réel.
· Philip Gourevitch[3]
I.
Comment se fait-il que de réfléchir à l’œuvre de Leopold Plotek m’amène à penser aux aphorismes sortis de la plume du philosophe Friedrich Nietzsche, et que des images de locomotives russes fonçant dans la nuit me viennent à l’esprit? Probablement parce que l’art de Plotek représente tout ce qui est contraire à l’irréfléchi, au statique ou au serein, si l’on entend par irréfléchi, dénué de contemplation, et que serein soit synonyme de placide ou de sobre. Son art est un envol perpétuel, en devenir constant, une recherche agile de l’insaisissable sublime. Le calme et l’imperturbable ne sont pas de son essence.
Plotek est un peintre que l’on pourrait qualifier d’ « ascensionnel » – ne serait-ce que pour souligner sa pensée orientée vers le haut, qui s’élève et tend vers le plein vol. La hauteur est le véritable pivot de son imagerie. Celle-ci n’est toutefois pas hantée par le spectre d’Icare[4]. Je ne veux pas simplement dire qu’il « pense en grand » ou qu’il « vole haut » (bien que cela soit le cas), mais qu’il se trouve constamment dans un état de frénésie imaginative, au cœur d’un envol créatif. Le mouvement « vers le haut » dont fait mention Nietzsche s’adapte tout naturellement au corpus de Plotek parce que, en tant que peintre, il vise toujours le sommet, le summum bonum, les hautes sphères, même lorsque son regard plonge dans les abîmes et se les approprie. L’imagerie – iconographie, atmosphère, aura – d’un tableau de Plotek est empreinte de hauteur et d’euphorie, bien visibles dans ses œuvres figuratives de quatre décennies.
Les oeuvres de Plotek sont allégoriques, même lorsque les représentations des allégories semblent fugitives, probablement parce qu’elles font corps avec ce qui les entoure. Ses toiles se situent habituellement sur deux plans. Elles peuvent être inspirées de l’Histoire et de la politique, traitant de personnages et d’événements historiques (Staline, Voltaire, Blake), mais elles peuvent aussi être des allégories figuratives d’idées où des personnages précis donnent vie à des concepts abstraits. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas besoin de connaître l’identité des personnages, bien que cette connaissance puisse, de toute évidence, enrichir notre vision.
Les larges traits de pinceau d’apparence nébuleuse qui caractérisent l’art de Plotek camouflent et célèbrent immuablement l’Éros dans sa peinture où s’imposent des phraséologies yin/yang séductrices, et même voluptueuses. Ces tableaux sont en même temps oppressants et extatiques : oppressants comme l’effort d’une locomotive gravissant une pente, et extatiques lorsque celle-ci arrive au sommet et amorce la descente en chute libre.
Plotek est un oiseau sauvage nietzschéen sans pareil qui, comme l’a déclaré F.D. Luke :
« … n’est pas un migrateur au sein d’une volée, mais l’oiseau de proie solitaire, grandiose et fier, planant au-dessus des montagnes, un observateur libre et sublime, capable d’atteindre de vertigineuses altitudes et de s’y maintenir, et de son œil perçant regarder dans les vastes profondeurs, féroce et rapace, comme un prince de la Renaissance ou un blond fauve; en vérité, un aigle. »[5]
À contempler de près les tableaux de Plotek, nous découvrons à quel point ils transmettent le regard perçant de l’aigle niché dans les hauteurs. Notre perspective part de l’aire de l’aigle, ou plutôt, Plotek saisit ses spectateurs dans ses serres et les amène au-dessus des cimes, des toits des villages, des rivières et des voies de chemin de fer. Un certain vertige et une forme d’extase, salutaires, à la fois troublants et transcendants, nous envahissent alors.
Bien qu’il s’agisse de l’un des plus courts aphorismes de Nietzsche, l’épigraphe de cette monographie représente tant une introduction poétique qu’une coda – tout aussi utile et pertinente, à mon avis, puisqu’elle est englobante – qui peut s’appliquer à l’ensemble de l’œuvre de Plotek. Si j’évoque ici la philosophie de Nietzsche, c’est que, tout comme les tableaux de Plotek, elle nous présente nombre de niveaux d’interprétation différents qui peuvent être épluchés couche par couche, comme un oignon, nous révélant au fur et à mesure une essence intérieure de plus en plus complexe qui ne dévoile pas toute son ampleur au premier regard, et dont l’examen minutieux devient gratifiant.
Toutes proportions gardées, il ne serait pas exagéré de dire que la peinture de Plotek, tout comme la philosophie de Nietzsche, s’approche de la poésie à l’état pur. Non seulement l’utilisation de la peinture est-elle celle d’un maître du lyrique et du tumultueux, mais aussi les sujets exigent qu’on les examine attentivement, et ils doivent toujours être pris en compte dans leur spécificité et leur pouvoir vivifiant. On peut admirer ces tableaux sans avoir connaissance de tout cela, et quand même y déceler une chaleur sublime, une intériorité poétique. La palette séduit irrésistiblement; l’aisance insolite des formes, tout autant. Lorsque les choses commencent à prendre forme et à se déformer, elles nous renvoient au rôle de la représentation fluctuante propre au cubisme synthétique. Elles nous entraînent dans un tourbillon où notre monde se centre et se décentre, se construit et se déconstruit, de l’intérieur, de l’extérieur et dans les zones intermédiaires.
Que Plotek résiste aux forces de la gravité (comme le laisse entendre l’épigraphe de cet essai) ne signifie pas que ses tableaux sont dénués de gravitas – puisqu’il ne s’agit décidément pas de toiles qui dégagent douceur et légèreté transparentes. Ce sont des œuvres sérieuses qui nous incitent à réfléchir. Même lorsqu’elles transmettent le plaisir palpable de l’acte de peindre, la turbulence et la sombre tension intrinsèques à l’utilisation de la peinture à l’huile (surtout par un peintre qui est aussi un poète) sont toujours au premier plan.
II.
À sa manière, Plotek est aussi un « observateur furtif qui glisse », ce que de Kooning prétendait également être. Ses toiles sont non seulement aussi « glissantes » que celles de Willem de Kooning mais, comme ce vieux maître, Plotek apprécie, de toute évidence, une belle surface juteuse et huileuse. Ses formes sont d’une texture fondante, mais s’il lui prenait l’idée de les déplacer, elles se hérisseraient et résisteraient, bref, elles tempêteraient. Ses traits de pinceau, d’abord hésitants, par la suite plus délibérés, construisent des structures qui sont ensuite ajustées, raffinées, réduites, relevées, enflammées, puis inondées de pigments aqueux jusqu’à l’atteinte d’un certain seuil de densité. Au centre de cette mutation animée des formes, de ce tohu-bohu incessant, Plotek produit de la magie avec ses procédés riches en pigments et nous en met plein la vue.
La séduction des tableaux de Plotek réside dans le changement. Je veux dire, dans la modification constante et dans le glissement perpétuel, de même que dans la volonté de se glisser dans ce que le monde recèle et d’en ressortir; dans le déni, puis dans l’acceptation des désirs les plus chers. Sans doute, seul un peintre qui a établi une profonde complicité avec la peinture à l’huile et la peinture de l’Histoire peut atteindre cet état de glissement sans fin, et tout de même être capable de saisir la vision fugitive dans le glissement, le glissement dans la vision fugitive. Les tableaux de Plotek se présentent, même à nous ses spectateurs, comme de fabuleuses visions fugitives d’un autre monde; notre perspective se situe parfois de côté, souvent d’en haut, mais de telles visions atteignent toujours le plexus solaire autant que l’œil. Une fenêtre s’est ouverte sur le monde de la vie, et Plotek a écarté grand les lattes des persiennes. La lumière entre à flots par les interstices, et alors un flux lumineux phénoménal irradie ses peintures.
Pour Plotek, comme de Kooning l’a aussi affirmé, se retirer du Réel dans l’acte de peindre signifie que l’on est dans le coup parce que, lorsqu’on croit qu’on ne l’est pas, on revient, avec tout ce que cela comporte de sueur et de larmes, « sur la bonne voie ». Après tout, vous glissez avant de voler, vos pieds traînent derrière vous, vous quittez la surface de la Terre et tout se met ainsi en place. Vous planez. Le glissement est pour Plotek le prélude à l’envol, la vision furtive d’en haut sur la récompense d’une vie passée sous l’emprise de la peinture à l’huile et de sa remarquable maîtrise. Il signifie la communion avec l’ineffable vérité : la peinture à l’huile facilite la transformation alchimique, la divine coniunctio.
De l’avis de Plotek, la turbulence réside dans l’énergie et dans l’insistance d’un peintre qui se connaît très bien. Le pinceau, en tant que propulseur à turbine ou bonbonne d’oxygène, ne représente ni plus ni moins que la délivrance et la vie. Je ne pourrais nommer que quelques peintres pour qui la turbulence est source d’un langage aussi vivant. La stase est anathème pour Leopold Plotek, elle signifie l’asphyxie de la créativité. Les envols de l’imagination de ce caméléon impétueux dans l’arène figurative se transforment toujours, pour ses spectateurs, en exultation. Sa passion pour la peinture se confond avec la nôtre.
Il se dégage de cet homme de stature imposante, pour ne pas dire corpulent, une étrange simplicité. Dans l’univers de sa peinture, toutefois, il est tout sauf modeste. Il est considéré comme une légende à Montréal depuis déjà plusieurs décennies. On ne l’a jamais vu se mettre en évidence, ni serrer la main de pseudo-peintres ou de parasites : son existence se déroule dans son atelier et il a avancé doucement, inexorablement même, de force en puissance, progressant comme la locomotive Ov‑324 qui assurait naguère la liaison entre Saint-Pétersbourg et Moscou.
En tant que peintre, il fait montre d’une gestualité infiniment souple, mais aussi de mouvements souverains, empreints de pure violence et de rupture. Il ne se réfugie pas dans les eaux lisses de la représentation; il n’a pas embrassé la peinture à l’huile pour le simple fait de peindre sans faire de bruit. Plotek se remet constamment en question. Ses choix de sujets le prouvent amplement. La clameur délirante de la vie réelle entre dans sa peinture et la tonifie avec un rare brio. Les topologies fluides de ses traits de pinceau, remplies d’oasis, d’archipels et de myriades de formes étranges, autrefois quelque peu géométriques, mais qui sont demeurées résolument organiques, séduisent la vue et nous englobent en douceur au cœur de la peinture.
D’après moi, ses sujets semblent utiliser la main du peintre comme véhicule surnaturel, comme un levier ou une baguette de magicien. Parlant des événements historiques qui l’ont touché, Plotek dirait probablement qu’il n’est pas leur voix ou leur instrument délibéré – mais c’est là sa manière d’exprimer la vie et son engagement total envers elle, avec ce que d’être vivant représente. Sa main ne réduit pas ses images rêvées à la soumission par la frayeur, mais on pourrait avancer qu’elles le choisissent, lui. S’il les encourage, tel un dompteur qui est à la fois un prestidigitateur, à sortir de sa tête et à prendre forme sur la toile, c’est parce que l’expression exige qu’elles soient complices de leur émergence insolite et qu’elles s’y abandonnent totalement. Lorsque Plotek est conquis par des événements qui sembleraient sans substance comme sujets de tableau, tout va bien, à tout le moins pour lui. Aucun autre peintre ne capte l’effervescence, le fourmillement et le remous comme il le fait – et très peu peuvent danser le tango dans la peinture à l’huile aussi infatigablement et avec un art aussi consommé que le sien.
Les formes des tableaux de Plotek folâtrent, dansent sur la pointe des pieds, s’élancent dans le firmament telles des trapézistes et marchent sur la corde raide – et je les ai rarement vues, sinon jamais, tomber de ces hauteurs périlleuses. Personne ne peut nier que les tableaux de Plotek foncent, irrépressibles, comme de puissantes locomotives alimentées aux pigments, magnifiquement énergiques dans les montées.
Plotek est un danseur, un marin, un alpiniste, peut-être même un montagnard (sans vouloir lui manquer de respect), mais il est avant tout un peintre au faîte de son art, qui va droit devant comme un conducteur de locomotive. Une réminiscence d’un train de nuit… Le roman Seven Days to Petrograd de Tom Hyman, où l’auteur présente cette fantastique hypothèse de l’histoire : et si Lénine avait été assassiné en 1917 à bord de ce fameux train « scellé » qui a quitté la Suisse et traversé l’Allemagne en guerre pour se rendre au cœur de la Russie jusqu’à la gare de Finlande à Petrograd[6]? Prenez V.I. Lénine, 32 exilés bolcheviques en rupture de ban et un assassin américain, parmi bien d’autres, faites-les monter dans un wagon, barricadez les issues, badigeonnez de peinture toutes les fenêtres, et lancez allègrement le train à toute vitesse sur une voie parallèle de l’Histoire. Tout cela me rappelle un tableau de Plotek et son contenu iconographique rebelle, emprisonné à l’intérieur, s’élançant le loin, toujours plus loin, sur une pente ascendante.
III.
Un critique a récemment déclaré que Plotek « peint ce qui est impossible à peindre », et ceci semble très près de la vérité[7]. Certes, les sujets de Plotek représentent pour lui un formidable défi. Regarder les tableaux de Plotek, c’est aussitôt prendre de l’altitude. Ce n’est pas comme si nous en avions une vue aérienne; plutôt, ils émergent devant nous comme des icebergs, impossibles à éviter, et la perspective d’ensemble paraît en soi difficile à appréhender à la manière du regard de Cézanne devant la montagne Sainte-Victoire qu’il affectionnait. Plotek, le peintre « ascensionnel », intervient et nous sort de l’impasse. L’histoire extraordinaire de sa vie a été marquée d’événements de pure violence et de moments d’insouciance, d’épisodes de rupture et de guérison, et tout cela transparaît dans son art.
Dans une récente exposition à Montréal, Plotek a inclus une série de trois monumentales peintures à l’huile inspirées du roman La mort de Virgile de Herman Broch. Il y avait vidé son bouillonnant bac de peinture en hommage à un chef-d'œuvre de la littérature. D’une hauteur de près de trois mètres, le diptyque The Death of the Poet : Homecoming est un tableau qui nous transporte tant par son ambition que par sa puissance formelle. Fait intéressant, Plotek a dit de cette peinture qu’il s’agissait d’une « tentative pour avoir des visions ». Et quelles visions! Ses tableaux nous tiennent à leur merci et nous obligent à devenir les témoins de choses que nous n’avons jamais vues et à visiter des lieux jusqu’alors inconnus.
Comme je viens de le dire, Plotek investit ses tableaux d’une vie ascensionnelle qui élève les spectateurs, au-dessus et au-delà du seuil de l’identification, de façon à ce qu’ils fassent corps avec eux et qu’ils s’en trouvent transformés. Si Leopold Plotek est un peintre qui a volé dans ses rêves, il l’a également fait dans ses peintures et nous, en invités, volons à ses côtés vers le Sublime. En volant ainsi, il contemple l’abîme avec les yeux d’un aigle; qui plus est, il le saisit dans ses serres, et en cela résident son courage et la teneur de sa réussite[8].
Homme d’un grand savoir, connaissant une vaste gamme de signifiants culturels, Plotek possède un don certain pour repérer les événements historiques qui agiront comme catalyseurs et seront garants d’authenticité. On pourrait le qualifier de rusé chasseur, mais alors, chacun des choix qu’il fait dans ses peintures apparaît méthodique et lourdement chargé, et nous n’avons aucun doute qu’au moment de peindre, ces choix signifient tout pour lui et qu’il ne peut leur faire prendre une voie d’évitement.
À mesure que nous « déballons », dans la sphère de notre vision inquisitrice, les tableaux si chargés de sens de Plotek, nous commençons à voir comment sa méthodologie, qui consiste à faire apparaître progressivement la vie figurative animée à partir du néant, est à la fois très ardue et empreinte d’une finesse étonnante. Et Plotek nous montre aussi, infailliblement, que « Ce qui se produit dans la lumière se prolonge dans l’obscurité », et inversement, tout comme l’a fait Nietzsche. Si l’obscurité dans les tableaux de Plotek provient de son engagement envers le Réel, elle est moins tributaire de ses moments de rêverie lucide que de sa conscience autobiographique. Il ne craint pas l’obscurité. Chez Plotek, « l’art de voler » se fonde non seulement sur les tours de force de son imagination, sur sa capacité narrative et sur sa connaissance impressionnante de la littérature et de l’Histoire, tant les siennes que les nôtres, mais aussi sur sa propre volonté énergique de s’inspirer, de se découvrir et de se réinventer chaque fois, dans son mode d’expression, au fil des années.
J’ai parlé de la riche histoire personnelle de Plotek, mais il n’est toutefois pas un otage de cette histoire. Il en est l’interprète. Sans aucun doute, il serait d’accord avec Nietzsche qui a déclaré, dans La naissance de la tragédie, que la vie doit être vue comme « la comédie tragique de l’existence »[9]. Plotek, comme ce philosophe, peut regarder la vie en face et transmettre la terrifiante ironie, la cruelle logique et la tragique malchance du destin, de la nécessité et de la circonstance.
Cet artiste ne s’est jamais détourné des vérités de notre existence. Comme nous venons de le voir, il n’a pas peur de regarder dans l’abîme et de témoigner, à sa manière singulière, des multiples perturbations et des dures réalités de notre époque. Mais il traduit toujours ces vérités par des images qui expriment avec éloquence tout ce que ses spectateurs ont connu, vu ou été, et qu’ils ont seulement imaginé.
Dans ses oeuvres récentes exposées à la Galerie Han Art, Plotek a atteint de nouveaux sommets. Dans ces tableaux, le peintre s’envole à minuit vers le soleil alchimique et, ayant atteint le zénith, retombe vers la Terre, non pas vers une mort certaine par noyade comme Icare, mais vers la promesse d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie rayonnante dans le creuset impérissable de son art.
James D. Campbell
Notes de fin de page
[1] Freidrich Nietzsche, Par-delà bien et mal.
[2] Sketchbook 1: Three Americans, scénario, New York, Time, 1060, p. 6‑10. New York School, The First Generation Paintings of the 1954s and 1950s Anthology of critics and artists: Foreword by Maurice Tuchman. Édition révisée du catalogue original d’une exposition au Los Angeles County Museum en juillet-août 1965 intitulée « New York School ».
[3] Philip Gourevitch, We wish to inform you that tomorrow we will be killed with our families: Stories from Rwanda, Picador, 1999, p. 6.
[4] Icare et son père Dédale étaient retenus prisonniers dans un gigantesque labyrinthe sur l’île de Crète. Dédale a fabriqué deux paires d’ailes afin qu’ils puissent s’enfuir. Il a dit à son fils : « Ne vole pas trop haut, car le soleil fera fondre la cire de tes ailes, ce qui entraînera ta chute. Suis-moi de près, ne pars pas de ton côté ». Icare, tout à l’euphorie de voler, n’a pas suivi le conseil de son père. Il s’est élevé trop haut, la cire de ses ailes a fondu, il est tombé dans la mer et s’est noyé.
[5] F.D. Luke, « Nietzsche and the Imagery of Height », dans Nietzsche: Imagery and Thought, Malcolm Pasley, éditeur, Berkeley, University of California Press, 1978, p. 116.
[6] Tom Hyman, Seven Days to Petrograd, Viking, 1988.
[7] « Leopold Plotek », dans Canadian Art.
[8] Luke, p. 117.
[9] Freidrich Nietzsche, La naissance de la tragédie.