Ce qui est logique pour les uns
… peut être perçu comme excentrique par d’autres. Les abstractions observationnelles de Leopold Plotek examinées à partir de l’attitude paradoxale de dévotion sincère et d’ironie indifférente endossent l’une ou l’autre perspective, ou les deux à la fois, représentant simultanément les convictions et les doutes, les craintes et les malentendus de tout un chacun.
Plotek a dû attendre au moins trente ans une reconnaissance pour ses premières toiles. Il les avait peintes dans le sillage immédiat des réévaluations artistiques et critiques de la décoration, une pensée esthétique qui, jusqu’au milieu des années 1970, était perçue comme totalement étrangère au modernisme. En tant que protégé d’Yves Gaucher, Plotek a été immergé dans la fin du courant moderniste qui l’a rendu très perplexe, et dont l’entonnoir réducteur occultait la richesse, les variations et les tendances des inspirations que suscitait ce mouvement. La luminescence avait été la valeur principale de Gaucher; ses tableaux, toutefois, étaient inondés des auras d’effets optiques fluorescents contrôlés. Plotek a ouvert grand ses tableaux à la lumière du jour — une réaction révélatrice. Ses toiles, quelle qu’ait été l’ambiguïté de leurs intentions, laissent volontiers transparaître leurs motivations.
Les tableaux de Plotek nous donnent à contempler l’imagerie d’états et de lieux. Grand nombre de ses premières toiles offrent à peine plus que des motifs architecturaux : un pilier, un linteau, une corniche, une arcade, éléments organisés dans un lieu qui suggère une mesure, une progression rythmique potentielle dans un espace décrit comme un vide chromatique; la surface picturale comme telle, un tant soit peu propulséedans la construction mentale d’une perspective cachée de la distance. La présence d’Arcadiens dans un lieu est suggérée par le fragment structural d’une arcade. Ces personnages apparaissent rapidement par la suite. Scrutez Leporello in Disguise. Plotek nous a assurés qu’il est tapi dans le tableau.
Plotek associait facilement ses ensembles aux domaines de la motivation et de la conséquence relevant de l’opéra, où la vie et le destin sont assujettis à la fatalité et aux dieux. Personnage de l’opéra Don Giovanni de Mozart, Leporello est le serviteur du personnage titre, l’ombre prudente et vigilante de ce séducteur. D’autres tableaux ont été inspirés par le cycle du chant narratif Pierrot Lunaire raconté par un personnage dont les gestes imprudents ont été guidés par une lune insouciante. Plusieurs autres toiles représentent des portraits de nymphes et de muses, ces évanescentes, capricieuses et contagieuses émissaires des dieux dans le monde des humains.
Les nuances de braise et de cendre de Malatesta rendent hommage à Errico Malatesta (1853–1932), un personnage peu connu de l’Histoire. Cette longue vie, inhabituelle pour un anarcho-communiste à cette époque, influera longtemps sur la pensée radicale des XXe et XXIe siècles.
Les tableaux plus récents de cette exposition montrent la convergence créatrice des « odes » et « poèmes » de Plotek. The Single Petaled Rose est un exemple de sa figuration abstraite arrivée à pleine maturité. Comme le suggère le titre, l’on y peut voir une gigantesque corolle au sommet d’une tige, dont le pétale extérieur, effiloché et endurci par l’exposition et l’expérience, protège un coeur encore délicat. Et pourtant, il s’agit réellement de deux figures : un parent, autrefois cynique, s’abandonne à la pureté de l’étreinte avec son enfant.
Ben Portis